Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, le stockage géologique de CO2 est devenu incontournable. Des projets novateurs dans le Mar du Nord montrent son potentiel, mais de nouveaux critères révèlent des limites. Il est crucial d’explorer cette technologie tout en privilégiant la réduction des émissions.
Le stockage géologique de CO2 : Une solution stratégique
La problématique du climat mondial a mis en lumière le stockage géologique du CO2, une alternative prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, les récents travaux de recherche recalibrent notre compréhension des limites de cette technologie. Des projets novateurs dans le Mer du Nord poussent cette technologie vers une échelle commerciale, tout en rappelant que les réservoirs souterrains ne sont pas une ressource infinie. Il est crucial de déterminer soigneusement où, combien et pourquoi nous injectons du CO2.
Capacité et limites du stockage géologique
Une étude récemment réalisée par le IIASA et l’Institut Grantham du Imperial College révèle que la capacité mondiale sécurisée pour le stockage de carbone pourrait être dix fois inférieure aux estimations antérieures. En tenant compte de critères d’exclusion environnementale et de sécurité, le volume utilisable est considérablement réduit.
Les raisons de cette réévaluation incluent l’élimination des formations à risque de fuite, des zones sûres, des zones protégées et des régions proches de grandes villes où les aquifères pourraient être affectés. De plus, les sites dans les mers profondes (au-delà de 300 mètres) sont restreints en raison des coûts et de la complexité, tandis que les réserves transfrontalières sont souvent problématiques sur le plan politique.
Ainsi, le stockage est désormais considéré comme une ressource finie et stratégique. Les pays traditionnels dans l’extraction, tels que l’Arabie Saoudite, le Congo, et le Kazakhstan, présentent un potentiel plus élevé, alors que les options dans des régions comme la Norvège, le Canada ou l’UE sont réduites compare à des prévisions antérieures. En outre, l’analyse indique qu’en cas d’injection souterraine, la contribution à la réduction du réchauffement climatique pourrait n’atteindre qu’environ 0,7 ºC, bien en deçà des attentes optimistes d’années précédentes.
Des dilemmes pratiques émergent même en Europe. Des pays comme la Belgique, avec une faible capacité locale, ont signé des accords pour stocker des émissions à l’étranger (par exemple, en Norvège), une solution qui pourrait être mise à mal si l’espace géologique se révèle limité.
Northern Lights : la première injection sous le Mer du Nord
Alors que la communauté scientifique ajuste la cartographie du sous-sol, l’industrie réalise des avancées importantes. Le Consortium Northern Lights (composé de Equinor, Shell et TotalEnergies) a réalisé la première injection de CO2 dans un réservoir salin à environ 2,6 km de profondeur sous le plancher océanique, dans le cadre d’un programme soutenu par l’État norvégien destiné à gérer le CO2 industriel en Europe.
Le fonctionnement du processus est relativement simple dans sa définition, mais complexe dans son exécution : les émissions des usines lourdes comme celles du ciment, de l’acier, ou de l’énergie sont captées, refroidies et comprimées pour devenir liquides. Elles sont ensuite transportées par navires-citernes jusqu’à la terminale de Øygarden, près de Bergen, et finalement injectées à travers un pipeline sous-marin de près de 110 km vers la formation rocheuse appropriée.
À cette profondeur, le CO2 est maintenu dans un état supercritique, mais sa sélection nécessite des études géophysiques pour assurer l’intégrité de la roche sans discontinuités pouvant favoriser des fuites.
La première livraison de CO2 stocké provient de l’usine de Heidelberg Materials à Brevik (Norvège), le consortium débute avec une capacité annuelle de 1,7 million de tonnes, avec des projets d’expansion à 5,5 millions dans les années à venir. Ce processus imite, de manière contrôlée, les mécanismes naturels qui ont maintenu pétrole et gaz piégés pendant des millions d’années.
Chaînes de valeur maritimes : le cas Havstjerne
La chaîne logistique pour le CO2 ne s’arrête pas à l’injection. Sur la plateforme continentale norvégienne, K Line Energy Shipping et Havstjerne ANS (composé de Harbour Energy Norge AS et Stella Maris CCS AS) ont signé un protocole d’accord pour développer des solutions de transport, stockage et injection dans la licence Havstjerne.
Cet accord examine la possibilité d’unité flottante de stockage et d’injection (FSIU) et de navires transporteurs de CO2 liquéfié. Ceci est une alternative intéressante pour les situations où l’espace est limité sur terre pour des terminaux ou lorsque la distance jusqu’au gisement offshore rendrait un long oléoduc impraticable.
Havstjerne se situe dans le secteur norvégien du Mer du Nord, à environ 100 km au sud-ouest d’Egersund, à proximité des ports du nord de l’Europe. La licence y est détenue à 60 % par Harbour Energy (opérateur) et à 40 % par Stella Maris CCS AS.
Yinson possède une solide expérience dans les technologies de capture depuis 2021 et travaille également avec le consortium K Line, qui a un long passé dans l’expédition de méthane et de gaz liquéfiés. L’objectif commun est de fournir un service sécurisé et rentable aux émetteurs européens, en accord avec les plans de décarbonisation.
Coûts, controverses et rôle dans la transition
Bien que la capture du carbone (CTC) soit reconnue comme un outil prometteur par le GIEC et l’AIE, elle demeure une technologie complexe et coûteuse. Dans de nombreux secteurs européens, il est souvent plus facile d’acheter des droits d’émission plutôt que de financer des installations de capture et des contrats de stockage sur le long terme.
Pour l’instant, les accords commerciaux avancent avec prudence, le programme Northern Lights ayant établi des engagements avec Yara (ammoniac aux Pays-Bas), Ørsted (biocombustibles au Danemark) et Stockholm Exergi (Suède). Bien que cela témoigne d’un certain engagement, il est évident que le déploiement prendra du temps sans des cadres réglementaires et un soutien financier stables.
Les critiques persistent également. Le professeur Mark Jacobson remet en question l’efficacité de la capture du carbone, notamment la capture directe de l’air (DAC), en pointant du doigt son inefficacité énergétique. Il soulève également la question du coût d’opportunité : utiliser l’électricité renouvelable pour capturer du CO2 pourrait s’avérer moins efficace que d’autres solutions telles que remplacer la production d’énergie à base de combustibles fossiles.
D’un autre côté, l’urgence climatique et l’importance de certains secteurs justifient la nécessité de la CTC. Des processus tels que la fabrication de ciment, de chaux, d’acier et de produits chimiques de base nécessitent cette technologie, du moins pour le temps nécessaire à l’adoption de solutions plus durables. Actuellement, 130 usines de DAC sont en développement, et des projets comme ceux de 1PointFive et Carbon Engineering au Texas visent à capturer jusqu’à 500 000 tonnes par an.
Le CO2 capturé pourrait également être utilisé pour produire des combustibles synthétiques pour l’aviation ou la navigation, pour des boissons, des diamants de laboratoire, ou pour son injection dans le béton afin d’améliorer ses propriétés. Ces utilisations sont prometteuses, mais la priorité demeurera le retrait et le confinement permanents du carbone dans des zones sécurisées.
Géopolitique et gouvernance d’une ressource finie
Le paysage du stockage de CO2 dessine de nouveaux équilibres géopolitiques. Les États avec un potentiel géologique important — tels que les États-Unis, la Chine, le Brésil et l’Australie — pourraient bénéficier d’un avantage, tandis que l’UE et la Norvège se retrouvent avec des marges plus serrées, reliant leur avenir à des accords transnationaux plus complexes.
Les chercheurs, comme Joeri Rogelj, soulignent que le stockage ne devrait pas justifier de nouvelles émissions, mais être géré comme une ressource limitée au service de la sécurité climatique. En clair, la capacité de stockage devrait être réservée selon des critères de priorité climatique, transparence et contrôle des risques.
La réduction de la capacité estimée refroidit les scénarios d’“overshoot” qui pensaient pouvoir réduire la température plus tard avec une captation massive de CO2. Le message est clair : il faut accélérer la réduction des émissions et déployer la CTC là où elle présente le plus grand avantage net.
Les projets dans le Mer du Nord se révèlent être des bancs d’essai pour la réglementation, l’assurance, la traçabilité du CO2 et la coopération entre pays et entreprises. Les leçons tirées de ces projets établiront les normes pour d’autres corridors de stockage dans les décennies à venir. Le stockage de CO2 entre dans une phase plus réaliste : un progrès technologique validé par des étapes telles que Northern Lights et des alliances comme Havstjerne, associé à une planification qui reconnaît son caractère limité et le positionne comme un complément — et non un substitut — à la nécessité de réduire profondément les émissions.
Mon avis :
L’essor du stockage géologique du CO2, comme illustré par le projet Northern Lights, offre un potentiel significatif pour atténuer le changement climatique, mais sa capacité réelle est remise en question par des études récentes. Bien que crucial pour des secteurs difficiles à décarboner, il ne doit pas être un substitut à la réduction directe des émissions.
Les questions fréquentes :
Quels sont les avantages du stockage géologique du CO2 ?
Le stockage géologique du CO2 a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre en confinant le dioxyde de carbone dans des formations géologiques sous terre. Cela permet de diminuer l’impact climatique et de lutter contre le réchauffement global. En utilisant des sites appropriés, ce processus peut aider à capturer et à stocker le CO2 émis par des industries lourdes, tout en contribuant aux stratégies de réduction des émissions.
Quels sont les défis liés au stockage du CO2 ?
L’un des principaux défis du stockage du CO2 est de garantir la sécurité des sites, en évitant les fuites et en sélectionnant des formations géologiques appropriées. Les études montrent que la capacité de stockage est limitée, et il est essentiel d’évaluer minutieusement chaque site pour s’assurer qu’il peut accueillir le CO2 sans compromettre les ressources en eau ou provoquer des séismes. De plus, le coût de la technologie et la mise en œuvre de réglementations robustes posent également des défis.
Quelle est la situation actuelle en Europe concernant le stockage du CO2 ?
En Europe, des projets comme Northern Lights ont permis de réaliser des injections de CO2, illustrant les avancées dans cette technologie. Cependant, la capacité de stockage est souvent jugée insuffisante pour répondre aux besoins, notamment en raison des restrictions géographiques et politiques. Des accords entre pays, comme celui de la Belgique avec la Norvège, montrent une volonté de collaborer, mais soulèvent aussi des questions sur l’accès et la disponibilité des ressources géologiques.
Quel rôle joue le stockage du CO2 dans la transition énergétique ?
Le stockage du CO2 est considéré comme une solution essentielle pour les secteurs difficiles à décarboner, tels que la cimenterie et la production d’acier. Bien qu’il puisse servir de pont vers une économie plus verte, il ne doit pas être perçu comme une excuse pour continuer à émettre des gaz à effet de serre. Au contraire, le stockage devrait s’inscrire dans une stratégie plus large visant à réduire les émissions de manière significative, tout en utilisant les technologies de capture et de stockage de manière prudente et planifiée.