La décision marquante du Japon de réactiver la plus grande centrale nucléaire du monde à Kashiwazaki-Kariwa suscite des débats passionnés. Plus de dix ans après la catastrophe de Fukushima Daiichi, cette relance soulève des enjeux cruciaux en matière de sécurité, d’approvisionnement énergétique et de transition climatique pour l’avenir du pays.

central nucléaire

La décision politique permettant à la plus grande centrale nucléaire du monde de redémarrer sa production d’électricité a été confirmée au Japon. Plus de dix ans après la catastrophe de Fukushima Daiichi, la centrale Kashiwazaki-Kariwa, située dans la préfecture de Niigata, se prépare à réactiver des réacteurs après des années d’inactivité et un intense débat public sur la sécurité, la mémoire et les coûts énergétiques.

Ce complexe, géré par la Tokyo Electric Power Company (TEPCO), devient ainsi le symbole d’un tournant dans le domaine nucléaire au Japon. D’un côté, il représente une pièce maîtresse pour garantir un approvisionnement électrique stable, réduire la dépendance aux combustibles fossiles et respecter les engagements climatiques ; de l’autre, il ravive les craintes liées à Fukushima dans une société encore divisée sur le rôle de l’énergie nucléaire.

Une votation décisive à Niigata après des années de blocage

Ce changement est survenu lors de l’assemblée de la préfecture de Niigata, qui a voté en faveur d’une motion de confiance au gouverneur Hideyo Hanazumi, validant ainsi son plan de réactivation de Kashiwazaki-Kariwa. Cette votation, considérée comme le dernier obstacle politique local, fait suite à plus d’un an et demi de consultations, sondages et discussions au sein de la région.

Hanazumi, qui a présenté le projet de réouverture début décembre après avoir étudié l’opinion publique, a déclaré que le processus avait été “long et méthodique”. Il a également ajouté que le feu vert politique ne signifie pas la fin des débats sur la sécurité, mais qu’il implique une vigilance et des améliorations permanentes durant toute la durée de vie de la centrale.

La centrale est située sur la côte de la mer du Japon, dans la préfecture de Niigata, à environ 220-260 kilomètres au nord-ouest de Tokyo, selon différentes sources officielles. Le complexe couvre une superficie d’environ 400 hectares et comprend sept réacteurs nucléaires, tous arrêtés depuis l’accident de 2011, lorsque le Japon a progressivement fermé ses 54 réacteurs pour des raisons de sécurité.

En pratique, la motion adoptée accomplit les exigences de consentement local imposées par le Japon après Fukushima pour toute reprise des activités nucléaires. Le gouverneur doit maintenant transférer officiellement l’autorisation au ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, Ryosei Akazawa, avant d’obtenir les autorisations finales du gouvernement central et de l’organisme de régulation du nucléaire.

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La plus grande centrale nucléaire du monde : capacité et calendrier de réactivation

Kashiwazaki-Kariwa est considérée comme la centrale nucléaire la plus puissante du monde en termes de capacité installée. Ses sept réacteurs totalisent environ 8,2 gigawatts (8 200 MW), une puissance suffisante pour alimenter plusieurs millions de foyers japonais et couvrir, à elle seule, un pourcentage notable de la demande dans la région métropolitaine de Tokyo.

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Le plan actuellement discuté prévoit une réactivation progressive axée sur les réacteurs 6 et 7, les plus modernes du complexe et les seuls à avoir reçu l’approbation de l’autorité nucléaire nationale pour redémarrer. En 2017, ces réacteurs ont passé les vérifications techniques, mais étaient restés arrêtés en raison de faiblesses ultérieures dans les systèmes de sécurité contre d’éventuelles attaques terroristes, problèmes désormais corrigés selon les autorités.

D’après diverses sources de la chaîne publique NHK, l’unité 6 devrait être la première à rejoindre le réseau, avec une puissance d’environ 1,36 GW. Dans certains scénarios évoqués par TEPCO, des dates aussi proches que le 20 janvier ont été envisagées pour ce redémarrage initial, bien que la compagnie évite de confirmer un calendrier définitif et reconnaisse que certains travaux associés au retour en service se poursuivront jusqu’en 2029.

Le ministère de l’Économie japonais évalue qu’un redémarrage du premier réacteur pourrait augmenter d’environ 2 % l’approvisionnement électrique de la région de Tokyo, illustrant ainsi le poids stratégique de cette centrale. À moyen terme, une réactivation du réacteur 7 est envisagée autour de 2030, tandis que les réacteurs plus anciens ne seront pas remis en service, ce qui signifie que Kashiwazaki-Kariwa ne retrouvera pas toute sa capacité historique, mais continuera d’être l’une des plus grandes installations au monde.

Pour TEPCO, cette réactivation revêt une dimension symbolique : il s’agira de la première centrale nucléaire exploitée par la compagnie à redémarrer depuis Fukushima. Après avoir été nationalisée de facto suite à l’accident, l’entreprise cherche à prouver qu’elle a réformé ses protocoles et peut fonctionner selon les normes de sécurité strictes établies après la catastrophe.

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Un pays qui revient à l’énergie nucléaire entre doutes et pressions énergétiques

Le mouvement observé à Niigata s’inscrit dans un changement plus large de la politique énergétique japonaise. Avant le triple désastre de mars 2011 (terremote, tsunami et accident de Fukushima Daiichi), l’énergie nucléaire représentait environ un tiers de l’électricité du pays. Après cette catastrophe, le Japon a temporairement fermé ses 54 réacteurs et s’est fortement tourné vers le gaz naturel liquéfié, le charbon et le pétrole importés.

Actuellement, entre 60 % et 70 % de la production électrique dépend toujours de combustibles fossiles importés. Récemment, le pays a dépensé l’équivalent d’environ 10,7 trillions de yens (plus de 64 milliards d’euros) pour l’importation de gaz et de charbon, ce qui a gonflé la facture énergétique et accru la vulnérabilité face aux crises internationales affectant les prix.

Dans ce contexte, le gouvernement japonais a réouvert 14 des 33 réacteurs considérés encore en état de fonctionner, tentant d’équilibrer les préoccupations de sécurité et la nécessité de doubler la part de l’énergie nucléaire pour atteindre environ 20 % du mix électrique d’ici 2040, tout en développant les énergies renouvelables.

Le relancement du nucléaire connaît une nouvelle pression : l’essor des centres de données et des applications d’intelligence artificielle, qui sont de grands consommateurs d’électricité nécessitant un approvisionnement constant et prévisible. Le Japon prévoit une augmentation de la demande dans la prochaine décennie malgré le vieillissement de sa population, et considère des installations comme Kashiwazaki-Kariwa comme une ressource pour répondre à cette augmentation sans accroître davantage les importations de combustibles fossiles.

Sanae Takaichi, la première ministre en poste depuis quelques mois, a explicitement soutenu le “relancement nucléaire” comme moyen de réduire les coûts électriques, de renforcer la sécurité énergétique et d’atteindre la neutralité climatique d’ici le milieu du siècle. La réouverture de la plus grande centrale nucléaire du monde est interprétée à Tokyo comme un signal fort que cette stratégie est sérieuse.

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Défi social, mémoire de Fukushima et le rôle de TEPCO

Malgré le soutien institutionnel, le climat social reste tendu. À Niigata, une enquête officielle publiée en octobre révèle que 60 % des habitants pensent que les conditions ne sont pas encore réunies pour redémarrer la centrale, et près de 70 % doutent de la capacité de TEPCO à l’exploiter en toute sécurité. Fukushima est donc perçue non pas comme un épisode clos, mais comme un avertissement permanent.

Lors de la session parlementaire ayant ouvert la voie au redémarrage, des voix opposées ont dénoncé un résultat peu représentatif du sentiment populaire. Un législateur a exprimé que c’était un “accord politique ne reflétant pas réellement la volonté des habitants”, soulignant l’influence du Parti libéral-démocrate (PLD), majoritaire dans une préfecture traditionnellement conservatrice.

À l’extérieur de l’assemblée, environ 300 manifestants ont bravé le froid avec des pancartes contre l’énergie nucléaire et le redémarrage de Kashiwazaki-Kariwa. Parmi eux se trouvaient des évacués de la zone d’exclusion de Fukushima, qui ont déménagé à Niigata après l’accident de 2011, et qui continuent de dénoncer des séquelles psychologiques ainsi qu’un sentiment de vulnérabilité persistant.

TEPCO, consciente du manque de confiance, a mis en place un ensemble d’engagements économiques et techniques. La compagnie a annoncé des investissements de 100 milliards de yens (plus de 600 millions d’euros) à Niigata durant la prochaine décennie, destinés à des projets locaux et à des mesures de sécurité. Elle a promis également des emplois et des incitations pour la région. En parallèle, TEPCO souligne qu’elle a intégré de nouvelles barrières contre les tsunamis, des systèmes de secours électrique, des filtres avancés et des protocoles d’intervention en cas d’urgence ou d’éventuels actes de terrorisme.

Cependant, une partie de l’opinion publique considère ces garanties insuffisantes, surtout au regard des coûts de démantèlement et de décontamination liés à Fukushima, estimés à plus de 100 milliards d’euros et dont les travaux pourraient s’étendre jusqu’à 2051. Le fait qu’aucun dirigeant de TEPCO n’ait encouru de responsabilités pénales pour ce désastre continue d’alimenter le mécontentement.

Impact économique et débat international

Au-delà du débat local, la réactivation de la plus grande centrale nucléaire du monde a des implications économiques et énergétiques plus larges. Pour TEPCO, Kashiwazaki-Kariwa est un élément central de son plan d’approvisionnement : la production de ce complexe permettra de réduire la pression liée à l’achat de combustibles fossiles, de stabiliser les prix et de renforcer sa position dans un marché en pleine évolution vers de nouveaux acteurs et technologies.

Sur les marchés financiers, l’annonce du feu vert politique à Niigata a été rapidement reflétée. Les actions de TEPCO ont augmenté d’environ 2 % sur la bourse de Tokyo après cette décision, dépassant la hausse de l’indice Nikkei le même jour. Les investisseurs interprètent que le retour de cette centrale peut améliorer la rentabilité de l’entreprise et lui donner plus de marge dans la transition énergétique japonaise.

Le ministère du Commerce et le gouvernement central voient en cette étape un progrès important pour respecter les engagements de réduction des émissions et réduire l’impact des coûts énergétiques, qui pèsent depuis des années sur la compétitivité de l’industrie nationale. Bien que le Japon promeuve également l’énergie éolienne offshore, l’énergie solaire et le stockage, les réalités actuelles indiquent que les énergies renouvelables ne sont pas encore capables de soutenir seules la charge supplémentaire liée à de nouveaux usages de l’électricité, allant de la numérisation massive à la mobilité.

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Parallèlement, le cas du Japon est suivi de près par d’autres pays débattant du rôle de l’énergie nucléaire dans leurs stratégies climatiques. En Europe, des pays comme la France, la Finlande ou la République tchèque souhaitent maintenir ou élargir leur parc nucléaire, tandis que l’Allemagne a choisi l’arrêt définitif du nucléaire, confiant l’essentiel de sa transition aux énergies renouvelables et au gaz. La manière dont le Japon gère la réouverture de sa plus grande centrale nucléaire servira de référence — pour le meilleur ou pour le pire — dans ces débats.

En Asie, la discussion s’inscrit dans une dynamique plus large concernant le secteur nucléaire. Bien que ce soit le Japon qui soit concerné ici, la région affiche un intérêt croissant pour l’énergie nucléaire comme levier de développement et réponse à la demande d’électricité incessante. Les avancées et les revers de Kashiwazaki-Kariwa alimenteront également les discussions sur les normes de sécurité, la responsabilité des entreprises et le rôle de l’État dans de telles infrastructures.

Avec la centrale de Kashiwazaki-Kariwa en voie de récupérer une part de son activité, le Japon se trouve à un tournant où les besoins en énergie abordable et à faible émission de carbone se heurtent aux souvenirs de son plus grave accident nucléaire. La réouverture de ce qui a été, et reste en grande partie, la plus grande centrale nucléaire du monde pourrait alléger les tensions dans le système électrique et solidifier les objectifs climatiques du pays. Pourtant, elle impose aussi une vigilance accrue sur la sécurité, la transparence et la capacité de TEPCO et des autorités à répondre en cas de problème ; entre promesse de stabilité énergétique et craintes de répétition d’erreurs, l’expérience de Niigata marquera pendant des années le débat mondial sur la place de l’énergie nucléaire dans un mix de plus en plus pressé par le climat, les enjeux géopolitiques et la révolution numérique.


Mon avis :

La réactivation de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa soulève des enjeux cruciaux : elle pourrait stabiliser l’approvisionnement énergétique du Japon et réduire la dépendance aux combustibles fossiles, mais ravive les craintes post-Fukushima, où 60 % de la population locale reste sceptique sur la sécurité des opérations de TEPCO, notamment après des investissements de 100 millions d’euros pour renforcer la confiance.

Les questions fréquentes :

Qu’est-ce qui a conduit à la réactivation de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa ?

La décision de réactiver la plus grande centrale nucléaire du monde, située au Japon, a été prise après plus d’une décennie de discussions et de débats publics sur la sécurité énergétique. La préfecture de Niigata a voté en faveur d’un plan de réactivation, en support à une mocion de confiance au gouverneur Hideyo Hanazumi.

Quels sont les enjeux de la réactivation de cette centrale ?

La réactivation de Kashiwazaki-Kariwa est perçue comme essentielle pour garantir un approvisionnement électrique stable et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Cependant, elle ravive des inquiétudes héritées de la catastrophe de Fukushima, créant des tensions dans une société divisée sur l’énergie nucléaire.

Quelle est l’importance économique de la centrale pour le Japon ?

Kashiwazaki-Kariwa, avec une capacité installée d’environ 8,2 gigawatts, pourrait fournir une proportion significative de l’électricité nécessaire à la région métropolitaine de Tokyo. Sa remise en service est jugée cruciale pour diminuer la facture énergétique du Japon, qui a consacré des dizaines de milliards d’euros à l’importation de gaz et de charbon.

Comment les résidents de Niigata perçoivent-ils le redémarrage de la centrale ?

D’après une enquête, environ 60 % des résidents de Niigata estiment que les conditions ne sont pas encore réunies pour redémarrer la centrale. De plus, près de 70 % doutent de la capacité de TEPCO à gérer la centrale en toute sécurité, témoignant d’une méfiance persistante découlant des souvenirs de Fukushima.

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