L’Espagne, bien que leader en énergies renouvelables, fait face à un défi majeur : une partie croissante de sa production électrique n’est pas consommée. En 2023, 892 GWh d’énergie verte seront gaspillés, un chiffre inquiétant qui pourrait tripler d’ici 2030. Une transformation des infrastructures est essentielle pour éviter cette perte.

Énergie renouvelable non exploitée par le réseau électrique

Une partie croissante de l’électricité renouvelable produite en Espagne ne parvient pas à être consommée à cause des limitations du réseau électrique. En raison de goulets d’étranglement, de retards dans la mise en place de nouvelles infrastructures et de l’augmentation significative des parcs solaires et éoliens, il est parfois nécessaire de limiter la génération d’électricité durant les périodes de forte production, exactement au moment où l’on progresse vers la décarbonisation.

L’impact est considérable : cette année, environ 892 gigawattheures (GWh) d’énergie verte ne seront pas exploités en raison des restrictions techniques. Les analystes estiment que ce chiffre pourrait tripler d’ici 2030, atteignant près de 2 869 GWh. Ce volume est non négligeable pour un pays qui aspire à un système électrique pratiquement exempt d’émissions à la fin de la décennie.

L’Espagne : leader en énergies renouvelables, mais avec des ressources sous-exploitées

Le méta-analyse européen intitulé « État des réseaux électriques européens : une méta-analyse », soutenu par Hitachi Energy et élaboré par Aurora Energy Research, positionne l’Espagne parmi les pays les plus touchés par la congestion du réseau. Selon le document, le système électrique espagnol rencontre un problème fondamental : l’offre et la demande ne se trouvent pas aux mêmes endroits.

Alors que la consommation électrique se concentre dans des zones comme Madrid et les principales régions côtières, la majorité des grands parcs éoliens et solaires est située à l’intérieur et dans les régions périphériques, où la demande locale est plus faible et la capacité d’évacuation limitée. Ce désajustement géographique, associé à un réseau qui n’a pas été adapté en conséquence, oblige souvent à restreindre l’injection d’électricité dans le réseau.

Alfredo Parres, responsable des renouvelables chez Hitachi Energy, souligne que la capacité de transport limitée et les retards dans la mise en service de nouvelles lignes engendrent des goulets d’étranglement qui obligent à arrêter ou à réduire temporairement la production des parcs. Ce phénomène, connu sous le nom de « curtailments », entraîne des coupures forcées de génération, même lorsque les conditions météorologiques sont favorables, affectant également l’énergie éolienne distribuée.

Paradoxalement, cela se produit alors que l’Espagne se classe déjà en tête de l’Europe en matière d’intégration des énergies renouvelables. L’an passé, les énergies renouvelables ont représenté environ 57% de l’électricité générée, plaçant l’Espagne comme un modèle en matière d’intégration de technologies vertes. Cependant, le rapport avertit que cette avance pourrait se dissiper si l’on n’accélère pas l’investissement dans les réseaux de transport et de distribution.

Le message des auteurs est clair : sans un renforcement substantiel des infrastructures, l’Espagne risque de gaspiller une part significative de son potentiel renouvelable, alors que la transition énergétique et la compétitivité industrielle européenne dépendent de l’accès à une électricité abordable, stable et décarbonée.

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Provinces les plus touchées par l’énergie renouvelable perdue

Les effets de ces limitations se manifestent particulièrement dans certaines provinces de l’intérieur, où de grands parcs solaires et éoliens ont été installés ces dernières années. Ces territoires, riches en ressources renouvelables, disposent encore d’une infrastructure de réseau insuffisante pour évacuer la totalité de l’énergie produite.

En 2024, Badajoz a été la province espagnole où le plus d’électricité renouvelable n’a pas pu être injectée dans le réseau, avec environ 177 GWh perdus. Ciudad Real suit de près, ayant perdu environ 120 GWh, selon l’analyse d’Aurora Energy Research pour Hitachi Energy.

D’autres provinces notables incluent Zaragoza, avec environ 143 GWh d’énergie non exploitée, Soria, avec environ 54 GWh, et Lugo, avec environ 50 GWh. Dans tous ces cas, la combinaison d’une forte production renouvelable et d’une insuffisance de capacité dans les lignes de transport explique en grande partie ces restrictions.

Le rapport souligne que, sans investissements supplémentaires dans le renforcement du réseau, l’énergie verte non exploitée continuera d’augmenter à mesure que de nouveaux parcs entreront en opération. Le cas de Ciudad Real est emblématique : bien que la province soit devenue un pôle de production renouvelable, le réseau n’est pas encore dimensionné pour absorber l’énorme flux d’électricité que ses installations peuvent fournir.

Cette situation a des implications environnementales, car elle entraîne une perte de production libre de CO₂, mais également économiques : les revenus des projets diminuent, les signaux de prix ne sont pas favorables pour de nouveaux investissements et les opportunités d’emploi et d’activités industrielles liées à la transition énergétique sont perdues dans les zones rurales de l’Espagne.

L’Europe face au défi de l’énergie renouvelable non exploitée d’ici 2030

À l’échelle européenne, le problème de l’énergie renouvelable non exploitée d’ici 2030 suscite également des inquiétudes. Le rapport estime qu’en 2024, 72 térawattheures (TWh) d’électricité, principalement d’origine renouvelable, ont été perdus en raison de goulets d’étranglement et de limitations sur les réseaux. Ce chiffre équivaut à peu près à la consommation annuelle d’électricité d’un pays comme l’Autriche, ce qui illustre l’ampleur du défi.

La racine du problème est similaire à celle en Espagne, mais à une échelle plus large : l’infrastructure électrique européenne ne croît pas au même rythme que la génération renouvelable et la nouvelle demande associée à l’électrification. De nombreux systèmes ont été conçus avec une vision de consommation et de production très différente de celle actuelle, caractérisée par peu de grandes centrales fossiles et nucléaires, ainsi qu’une moindre décentralisation.

Aujourd’hui, le réseau doit être capable de connecter des milliers de parcs éoliens terrestres et en mer, de vastes champs photovoltaïques, des installations d’autoconsommation, ainsi que des gestionnaires de charge pour véhicules électriques, des pompes à chaleur ou des électrolyseurs pour l’hydrogène vert. Cette nouvelle demande et offre électrique exerce une pression sur une infrastructure qui souffre encore d’un manque d’investissement au cours des dernières années.

Pour que l’Europe atteigne son objectif de zéro émission nette d’ici 2050, le rapport indique qu’il est impératif de tripler la capacité solaire et éolienne installée sur le continent. Cela s’accompagnera d’une augmentation de la demande électrique de plus de 70%, alimentée par l’électrification des transports, la climatisation des bâtiments et une partie des processus industriels.

Néanmoins, les auteurs avertissent que ces objectifs ne pourront être atteints que si une transformation profonde du réseau de transport et de distribution est entreprise, tant en termes d’extension que de numérisation et de flexibilité opérationnelle. Dans le cas contraire, l’énergie propre prévue pour 2030 et 2040 pourrait rester partiellement sous-utilisée.

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Une saturation des demandes de connexion et des projets en attente

Un des chiffres les plus frappants de l’analyse concerne le nombre de projets cherchant à se connecter au réseau et qui, pour l’heure, n’ont pas de capacité disponible. Dans des pays comme Espagne, Royaume-Uni, France, Italie et Pays-Bas, le nombre d’initiatives en attente a explosé ces dernières années.

Ensemble, ces cinq marchés comptent environ 800 gigawatts (GW) de nouveaux projets renouvelables — principalement des parcs solaires et éoliens — en attente de connexion, en plus de près de 550 GW de projets de batteries qui souhaitent également se raccorder au réseau. Ces chiffres dépassent de loin la puissance actuellement en fonctionnement, estimée à environ 339 GW pour la génération solaire et éolienne et à peine 10 GW pour le stockage par batteries.

Cette immense « queue de connexion » met en lumière l’écart entre l’ambition climatique et la réalité des infrastructures. De nombreux projets techniquement matures, disposant de financements et de permis avancés, sont bloqués par un manque de capacité pour évacuer l’énergie ou par des processus administratifs longs et compliqués pour renforcer le réseau.

Non seulement les générateurs se sont lancés dans la course à la connexion, mais aussi les grands consommateurs d’électricité soumettent massivement des demandes pour raccorder leurs installations au réseau : points de recharge rapide pour véhicules électriques, centres de données, systèmes de chauffage et de climatisation entièrement électriques, ou projets liés à l’hydrogène renouvelable.

Le rapport évalue à 321 GW les demandes de connexion de ces gros consommateurs en Europe, une puissance qui dépasse la demande maximale enregistrée en 2024, située autour de 245 GW. Ce chiffre illustre que si toute cette nouvelle demande se concrétisait, le système devrait disposer d’une capacité bien plus importante, non seulement pour la génération renouvelable, mais aussi pour le réseau et le stockage, afin de l’accompagner en toute sécurité.

Investissements dans le réseau : goulets d’étranglement et besoins jusqu’en 2045

La question centrale reste celle de l’investissement nécessaire et des délais pour éviter que, d’ici 2030 et au-delà, l’énergie renouvelable non exploitée ne continue d’augmenter. Au cours des cinq dernières années, l’investissement européen dans les réseaux de transport et de distribution a crû d’environ 47%, atteignant environ 70 milliards d’euros par an.

Cependant, les calculs d’Aurora Energy Research montrent que ce montant est insuffisant : l’investissement actuel se situerait entre 13% et 44% en dessous de ce qui est nécessaire chaque année pour s’aligner sur le chemin de l’émission nette zéro. En d’autres termes, bien que la tendance soit à la hausse, l’écart d’investissement persiste par rapport aux besoins associés au déploiement renouvelable prévu.

Le rapport préconise que l’Europe devrait allouer entre 81 milliards et 113 milliards d’euros par an aux réseaux électriques pour résoudre les goulets d’étranglement déjà observés et empêcher qu’ils ne s’aggravent à mesure que la production propre augmente. Cette fourchette d’investissement permettrait aussi bien le renforcement et la numérisation du réseau existant, que la construction de nouvelles lignes et sous-stations.

En regardant au-delà de 2030, l’étude trace une feuille de route jusqu’en 2045, impliquant une véritable reconstruction de l’infrastructure électrique du continent. À ce moment-là, l’Europe aura besoin d’installer environ 465 000 kilomètres de lignes de transmission haute tension, 6,3 millions de kilomètres de lignes de distribution et plus de 4 millions de transformateurs pour répondre à la demande croissante et à l’intégration massive des énergies renouvelables.

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Cet effort équivaut, en pratique, à redessiner le réseau électrique européen en une seule génération. Il ne s’agit pas simplement d’ajouter des kilomètres de câbles, mais aussi de moderniser les équipements, d’incorporer des technologies de contrôle avancées et de flexibiliser l’exploitation du système pour gérer en toute sécurité de grands volumes de production intermittente et une demande de plus en plus électrifiée.

Coordination, planification et utilisation plus efficace du réseau

Au-delà des chiffres concernant la capacité et l’investissement, le rapport souligne l’importance d’améliorer la coordination entre tous les acteurs du système. L’intégration efficace de l’énergie renouvelable, l’électrification de l’économie et l’atteinte des objectifs climatiques dépend non seulement des fonds alloués aux réseaux, mais aussi de leur planification et de leur déploiement.

Les auteurs insistent sur la nécessité de renforcer la collaboration entre opérateurs de systèmes de transport (TSO) et de distribution (DSO), fabricants d’équipements, régulateurs, promoteurs de projets renouvelables et grands consommateurs. Une meilleure communication concernant les besoins en équipements et les délais de développement permettrait de réduire les retards, d’éviter les doublons et de prioriser les actions ayant le plus grand impact en termes de réduction de l’énergie gaspillée.

De plus, l’étude recommande d’exploiter au maximum les technologies disponibles pour une utilisation plus efficace du réseau existant. Cela inclut des solutions d’automatisation et de numérisation, des systèmes de gestion active de la demande, du stockage d’énergie distribué et des approches de flexibilité permettant d’adapter à la fois la production et la consommation en temps réel aux conditions du réseau.

Dans le cas de l’Espagne, une amélioration de la planification conjointe du réseau et des nouveaux projets renouvelables aiderait à minimiser les futures congestions dans les provinces déjà soumises à des niveaux élevés de coupures de production. Il s’agit d’anticiper la construction de nouvelles lignes et sous-stations dans les zones où le développement renouvelable est concentré, ainsi que dans les corridors clés vers les grands pôles de consommation.

Le rapport insiste sur le fait que, si l’on progresse en coordination et que l’on accélère l’investissement approprié, l’énergie renouvelable non exploitée peut être significativement réduite dans la prochaine décennie. Cela permettrait à l’Espagne et à l’Europe de tirer pleinement parti de leur potentiel en ressources solaires et éoliennes, tout en maintenant leur compétitivité dans la course mondiale vers la décarbonisation.

Mon avis :

La production d’électricité renouvelable en Espagne est en forte hausse, atteignant 57 % l’année dernière. Cependant, des limites sur le réseau électrique entraînent un gaspillage considérable, avec près de 892 GWh non consommés cette année, une situation qui pourrait tripler d’ici 2030. Cette dissonance géographique entre production et demande souligne la nécessité urgente d’investissements dans l’infrastructure pour éviter de compromettre l’objectif d’une transition énergétique efficace et économiquement viable.

Les questions fréquentes :

Quelles sont les principales limitations de l’énergie renouvelable en Espagne ?

Une partie croissante de l’électricité renouvelable produite en Espagne ne parvient pas à être consommée en raison des limitations du réseau électrique. Ceci est causé par des goulets d’étranglement, des retards dans de nouvelles infrastructures et un fort accroissement des parcs solaires et éoliens.

Quel est l’impact de l’énergie renouvelable gaspillée ?

Ce gaspillage a des conséquences significatives ; par exemple, en 2023, environ 892 GWh d’énergie verte n’ont pas été exploités. Les analystes estiment que cette tendance pourrait tripler d’ici 2030, atteignant 2.869 GWh, compromettant les objectifs de décarbonisation du pays.

Quelles provinces sont les plus touchées par ce problème ?

Les provinces les plus affectées par l’énergie renouvelable non utilisée incluent Badajoz, qui a perdu environ 177 GWh, et Ciudad Real, avec environ 120 GWh dépourvus de consommation. Cette situation est souvent due à un déséquilibre entre la production d’électricité et la capacité de transport.

Comment l’Europe aborde-t-elle le problème de l’énergie renouvelable non exploitée d’ici 2030 ?

L’ensemble de l’Europe fait face à ce défi, avec une estimation de 72 TWh d’électricité, principalement renouvelable, perdue en 2024. Pour atteindre les objectifs de zéro émission nette d’ici 2050, l’Europe doit tripler sa capacité solaire et éolienne tout en améliorant la modernisation des infrastructures de transport et de distribution.

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